Je ne suis pas à l’aise concernant les applaudissements à 20h.
Non que les personnes en première ligne ne soient pas héroïques évidemment, mais elles n’ont pas fait le choix d’exercer ces professions comme des héros. Elles ont fait le choix de soigner. Si elles se trouvent contraintes à l’héroïsme, c’est parce que tant d’autres n’ont cessé, pendant des années, de faire des pas en arrière quant à la nécessité d’organiser la préparation des équipements et la recherche de stratégies thérapeutiques efficaces alors que ce risque très précis était parfaitement connu et documenté (comme le sont bien d’autres):
“The presence of a large reservoir of SARS-CoV-like viruses in horseshoe bats, together with the culture of eating exotic mammals in southern China, is a time bomb. The possibility of the reemergence of SARS and other novel viruses from animals or laboratories and therefore the need for preparedness should not be ignored.”
Autrement dit, leur héroïsme est consécutif à ce qui devrait surtout nous inciter à une humiliation collective, dont nous ne saisirons la portée que par les leçons que nous, collectivement, saurons, ou pas, en tirer. Non seulement en leur donnant les médailles bien méritées, mais en sachant que nous, collectivement, sommes précisément particulièrement indignes de les leur remettre.
En effet, concernant le virus, au risque de choquer: il n’est pas dangereux. Ou si peu. Son taux de létalité est actuellement estimé <1%. Par comparaison, certains sont largement à >50%. Autrement dit, cet épisode n’est qu’un coup de semonce qui doit impérativement nous alerter sur la vraie cause de la mortalité. Or, ce qui cause la mortalité, c’est la vitesse avec laquelle il se dissémine dans une population sans immunité. Ça, c’est une question politique et organisationnelle, à bout touchant avec l’impréparation technique et thérapeutique. Qu’un virus dont la létalité si modérée cause de tels problèmes souligne que le danger découle précisément de l’accumulation de choix et de pratiques, et plus globalement, d’une (in) culture politique, organisationnelle, sanitaire de chacun d’entre nous ou presque. Or, cette culture ne se suscite que sur le temps long, et aujourd’hui le temps manque. Ne soyons pas surpris d’en arriver là, c’est bel et bien la route que nous suivions. Par inadvertance pour beaucoup, sachant que cette inadvertance n’est pas un alibi, mais au contraire qu’elle accuse.
Je crois que les questions essentielles qui se poseront après la crise seront par conséquent premièrement politiques et organisationnelles, avec en premier lieu j’espère celles-ci:
- quelle place pour ceux qui auraient dû voir et qui n’ont rien vu ?
- quelle place pour ceux qui ont vu venir et qui n’ont pas été ni écoutés ni soutenus ?
Choisissons bien qui nous applaudirons.